Portraits d’armoire 

Portraits d’armoire est un projet mené en parallèle de Processus avec Marion Guilleux et Maylis Rolland, à travers lequel nous questionnons nos façons de consommer les vêtements, de les aimer – ou non, et la relation que nous entretenons avec eux. Nous entrons dans l’intimité des personnes acceptant de nous recevoir et de nous parler de tout ce que leurs vêtements signifient pour eux, en termes d’identité, de rapport à leur corps et à leur environnement, mais aussi d’enjeux financiers, sociaux et écologiques.

Article Ouest France

Mélina, 12 ans, Rouans

« Mes vêtements, c'est sûr que j'en prends soin. C'est aussi moi qui fais mes machines. Je sais qu'après, si je veux leur donner une seconde vie en les revendant sur Vinted, il faut qu'ils soient bien entretenus. Je regarde et je trie régulièrement mes vêtements, quand j'ai le temps. Sur Vinted, il faut ajouter régulièrement des vêtements pour vendre correctement. Donc j'ai toujours un pack de vêtements que j'ajoute quand j'en ai envie. Mes ventes, ça me fait pas mal d'argent... entre 15 et 20 euros par mois, je pense.

Avec l'argent que je gagne, j'en rachète généralement. J’ai pas forcément besoin de nouveaux vêtements, parce que j’en récupère aussi. Mais j'aime bien en acheter.

Généralement, quand je vends mes vêtements, c'est parce qu'ils sont soit trop petits, soit trop grands. Parfois, quand j'achète trop grand, c'est parce que je regarde un peu les photos de style sur Internet, sauf qu’après, sur moi c'est un peu moins joli ; du coup, je les revends ou je les donne à ma cousine. »

Alpha, 37 ans, Nantes

« J'ai commencé à acheter des fringues avec mes premiers salaires. J’avais 22-23 ans. J'ai acheté plein de trucs d’un coup. Mais j’avais jamais eu aucune réflexion sur les vêtements, mon look, l’image que j'avais envie de renvoyer. Je suis allé au centre commercial, je me suis pas pris la tête, c'était jean, tee-shirt, un sweat à capuche, une veste en jean et basta.

Quelques années plus tard, en 2011, j'ai eu une grosse période de réflexion sur l'environnement, qui m’a amené à complètement changer de vie. Et là, forcément, j'ai réfléchi aux vêtements. J'ai eu une période où quasiment mon seul critère d'achat, c'était l’origine des fibres. Je voulais que ce soit du lin ou du coton bio, sans colorant azoïque, fait en France si possible. Mais quand t'as ces filtres-là, t'as très peu de choix. J'ai réalisé au bout de quelques années qu’en termes de look, ça me correspondait pas du tout. Quand je me voyais dans le miroir, c'était pas moi.

En 2016, on est revenus de plusieurs années de voyage avec très peu de vêtements. J'avais plus rien dans mon armoire. J'ai pris plusieurs mois pour réfléchir à ce que j'allais acheter. Sur le blog de Bonne Gueule, j’ai découvert des mots comme workwear, streetwear… je me situe un peu entre les deux. Je réalise que je me définis vachement par la musique. J'ai toujours joué de la musique, écouté beaucoup de musique. J'ai grandi en banlieue parisienne, on écoutait du rap, en mode sweat capuche survêt. Maintenant j’écoute beaucoup de metal, un peu de rock… le workwear c'est un peu le look associé.

Et j’ai changé de critère d'achat. Plutôt que des fibres bio, j'ai choisi la durabilité : j'achète un truc qui me plaît et qui va pas se démoder. Un caban, ça fait sans doute plus d’un siècle que ça existe. Une chemise en chambray, à carreaux, un jean de bonne qualité... Même s'il a des colorants dégueulasses dedans, je vais le garder un maximum d'années, donc l'impact sera quand même moindre.

Le résultat, c'est toute ma garde-robe d'aujourd'hui. Je n'ai quasiment rien racheté depuis. »

Renée, 80 ans, Rouans

« Il fut un temps où j'avais des obligations. Je me trouvais obligée de changer de vêtements assez souvent, donc j'avais une garde-robe très chargée. Pour moi, ça a été l'occasion de m'habiller : à l'époque, quand vous aviez l'assemblée des maires vous ne partiez pas en jean ! J'aimais avoir des choses qui sortaient de l'ordinaire. C’est peut-être aussi pour se donner une assurance. On se doit d'être doublement meilleure quand on est une femme maire, parce qu'on est surveillée, on est guettée. L'ancien maire, est-ce qu'il avait le même costume, la même cravate, je ne m'en suis jamais inquiétée ! Mais moi, en tant que femme, je ne me voyais pas porter les mêmes vêtements deux fois de suite...⁠

(...)J'ai de la peine avec les pantalons. Les jeans, tout de suite... celui-là est déjà trop grand, et puis le stretch, il dure pas longtemps ! Dans un article de Télérama, la semaine dernière, ils avaient déterré un jean. Tout le coton était parti. Mais il restait la fibre synthétique, l'étiquette... Et ça faisait 20 ans qu'il était en terre. Le synthétique était resté. Le problème, c'est la pollution.

Alors, il y a un magasin à Nantes qui s'appelle 1083 et qui fabrique ses vêtements en France. Et là, ils ont des pur coton. Mais c'est vrai que c'est problématique, parce que finalement… qu'est-ce qu'on va faire de tout ce synthétique sur le marché ? Cette matière, elle ne va pas se recycler indéfiniment. »

Loélia, 25 ans, Nantes

« Quand j’achète des vêtements, j'aimerais acheter plus de seconde main, parce que parfois je culpabilise un peu quand j'achète du neuf. Je me suis mise à chercher sur Vinted, mais dans les grandes tailles, souvent c'est pas fabuleux, on va pas se mentir. J’ai du mal à trouver mon style à ma taille, c'est un peu déprimant. Ça fait pas longtemps que je commence à aller à Emmaüs, parce que je me suis rendue compte qu'ils avaient pas mal de choses en grandes tailles qui étaient très bien.

(...)Je suis plutôt réservée. Ma personnalité est complètement décalée avec la première image qu’on peut avoir de moi. La plupart des gens sont assez surpris. Ils pensent que je suis quelqu'un de très confiant, parce que je ne passe pas inaperçue, alors que pas du tout ! Je fais ressortir ma personnalité via mes vêtements, même si parfois, j'aimerais bien m'effacer.

Et en même temps, si je mettais des vêtements lambda, je ne me sentirais pas bien du tout. C'est pas mon univers. Ça correspond pas à tout ce que j'aime dans la vie... Ma grande passion, c'est la musique. Les années 80, The Cure, Depeche Mode, David Bowie… une musique très colorée justement, les gros synthés, tout ça !

Si je pouvais habiter à Londres, je pense que j'oserais beaucoup plus de choses, parce que même avec ma couleur de cheveux ou mes tatouages, je passerais beaucoup plus inaperçue qu’ici. Après, à Nantes, je n’ai jamais eu de remarque ou de curiosité. Et même quand j'étais en Vendée chez mes parents, j'avais fait une saison d'été à la vente dans une boulangerie, et je m'étais dit, les piercings, les tatouages, pour les clients... et jamais j'ai eu une remarque. Donc je pense que parfois, on se fait peut-être des idées. »

Mathieu, 37 ans, Rouans

« Si j’étais le seul à m’acheter des fringues - si on ne m’en offrait pas, j’aurais beaucoup moins d’habits. Je pourrais vite avoir quinze fringues et puis c’est tout. Quand je suis en voyage et que j’ai juste un pantalon, un short, deux tee-shirts et deux polaires… il n’y a rien qui me manque.

J’accepte que les autres fassent autrement. Après, si ma compagne achetait beaucoup de fringues neuves, je pense que j’aurais du mal, parce que… on ne peut pas décloisonner le vêtement du reste de la vie. Ça représente ce qu’on est au quotidien : le mode de vie, la façon dont on veut se présenter aux autres.

Il y a plein de choses dans le minimalisme. C’est assez simple finalement : je ne mets pas de trucs extravagants, qui vont attirer l’œil, je mets des trucs pratiques, des trucs pas chers, parce que je n’ai pas envie de mettre de l’argent dans quelque chose que je trouve inutile. Ça rentre dans les valeurs. Je préfère mettre de l’argent dans le logement, dans la nourriture, dans… dans pas grand-chose d’ailleurs. Le fait de ne pas gagner beaucoup d’argent, c’est un choix de vie. Si j’en avais plus, peut-être que je pourrais mettre plus d’argent dans les fringues, mais je n’en ai pas envie. Je suis plutôt dans un mode de vie où je diminue mes charges. En fonction de ces charges, je travaille pour arriver à ce montant, et du coup j’équilibre. Je ne vais pas augmenter les charges en fonction du salaire, acheter plus de choses. J’ai pas besoin de ça, donc je m’en libère. Moins j’en ai, mieux je me porte. »

Éliane, 86 ans, Toulon

« Je vais te dire quelque chose d’horrible. J’avais un manteau de vison. C’était la mode autrefois. Il y a cinquante ans de ça, on n’était pas écolos, on tuait des animaux… Je n’ai jamais osé le donner. Il est caché au fond d’un placard. J’ai aussi une grande étole en vison, je l’ai mise deux fois je crois. Maintenant je les cache, tu vois.

Mais c’est la vie, c’est comme ça. Il y a cinquante ans, toutes mes amies avaient leur vison. Et on ne pensait même pas à mal. Si on avait réfléchi un peu, on ne l’aurait pas fait. Quand on voit maintenant les animaux qui disparaissent, je suis affreusement choquée. L’écologie, ça m’intéresse de plus en plus, maintenant, ça touche tout le monde. Quand j’avais vingt ans, je ne pensais pas à l’écologie. Je n’y pensais même pas. Quand les sacs plastiques sont arrivés, on était heureux, on avait des sacs plastiques. Maintenant, on voit que ça tue le fond des mers… »

Bregham, 7 ans, Rezé

Bregham : En général, c'est papa et maman qui m'achètent des habits. Mais c'est moi qui choisis.

Hélène (sa maman) : Depuis qu'il a trois ans, il a son mot à dire sur ses vêtements. J'achète jamais sans lui demander. Il voulait des sandales très précises cette année. Il voulait des brides fines, bleues, des semelles fines... et ça, c'est très dur à trouver. Chez les filles, ça existe, mais c'est pas bleu ou c'est à paillettes. Chez les garçons, c'est bleu mais la semelle est épaisse. Donc finalement on a fait un compromis : il a choisi bleu, semelle épaisse, moins de brides que ce qu'il voulait.

Bregham : J'ai aussi un tee-shirt avec un zèbre qui change de couleur.

Hélène : Ah oui, le zèbre, on l'a trouvé au rayon filles, parce que Bregham voulait un tee-shirt rose, et au rayon garçon c'est impossible. Il y a aussi une pièce majeure de ton dressing que tu as sortie tout à l'heure, exprès… Tu voulais la montrer ?

Bregham : Je sais pas... C'est toi qui le dis.

Hélène : C'est une robe.

Bregham : Y en avait plein d'autres qui me plaisaient. Elle, je l'aimais trop aussi quand même, et c'était la seule que maman trouvait jolie, donc je l'ai prise.

Hélène : Celle-là, c'est celle d'hiver. Après, on en a acheté une pour l'été. Le sentiment que j'ai, c'est que c'est un vêtement de sa garde-robe, comme son short, comme sa chemise. Il trouve ça confortable, il trouve ça cool, ça tourne. Il est pas déguisé. Il met ses baskets comme d'hab, son sweat à capuche comme d'hab. Chez le coiffeur dans le quartier, il y a un côté barbier et un côté femmes, et il préfère aller du côté barbier comme papa. Mais la dernière fois qu'il a été couper ses cheveux, il était en robe.

(...)Il la met à l’école aussi. Pour moi, ça dénote une certaine confiance en lui. Moi, j’étais beaucoup plus inquiète. Il est quand même assez sensible... Il a insisté. Et y a pas eu de moqueries. Il y a eu une ou deux remarques, mais ça l'a pas trop touché. On en avait parlé. Le premier tee-shirt robe, il ne l'avait porté que l'été et pendant le confinement. Après, on a acheté la robe bleu marine. C'était au début des vacances, et il a dit : « moi, à la rentrée, je mettrai ma robe ». On répondait, « on verra, on verra… ». La rentrée arrive : « je veux mettre ma robe ». Je lui ai répondu, « avec papa, on sait pas trop... ». Il nous a dit : « j'en ai marre parce que vous en faites toute une histoire ».

Marion, 32 ans, Rouans

« Si j’ai à choisir un vêtement, je regarde d’abord où il est fabriqué. Pour limiter les transports de matières, mais aussi pour avoir plus de garanties sur les conditions dans lequel il est fait.

Ensuite, je regarde la matière. A priori, je n’aurais pas envie d’aller vers des matières synthétiques. A cause de leur impact à la production, mais aussi à cause de l’impact après : je pense à tous les microplastiques qui partent dans les eaux grises de la machine à laver quand on les lave. Donc si j’ai à choisir un vêtement, il sera fait dans une matière 100 % naturelle. Mais là, c’est pareil, il faut faire attention : le coton demande beaucoup d’eau, même le bio. Donc j’essaie de l’éviter dorénavant. Il y a le lin aussi… mais un vêtement qui a besoin d’être repassé, c’est pas mon premier choix !

Pour la laine, il est parfois possible d’obtenir des informations sur les conditions de tonte, alors j’essaie d’être vigilante. Récemment, j’ai acheté des chaussettes chez Missègle. La production n’est lancée qu’au bout d’un certain de nombre de précommandes, pour rationaliser les coûts de production tout en ne produisant que le nécessaire. Myriam Joly, la fondatrice de la marque, a été la première à installer un élevage de chèvres angora en France. Et elle a racheté des petits ateliers de confection qui fermaient, pour que le matériel et les savoir-faire de la filature et du tricot restent et perdurent en France.

Pour revenir aux chaussettes, Missègle affiche sur son site que là où les chaussettes classiques sur le marché résistent jusqu’à 8 000 cycles de test en laboratoire, les leurs ont dépassé les 100 000 ! Même le laboratoire était surpris de devoir tester sur autant de cycles et que ça ne perce toujours pas ! Donc je fais attention à ça aussi si possible : la résistance, la durabilité. »

Patrice, 63 ans, Rouans

« À une époque j'étais gourmand de vêtements. Dans les années 80, quand j'étais à Paris, que je travaillais dans le théâtre, que j'avais de l'argent... J'avais mes magasins, j'étais presque hystérique, j'étais très Marithé + François Girbaud. Maintenant, je suis devenu très raisonnable parce que j'ai beaucoup moins d'argent. Je suis sensible à des choses auxquelles je n'étais pas sensible avant : la qualité, la provenance, les conditions de fabrication. Ça va avec l'âge : je me suis assagi dans mes idées, dans mon rapport à la société, dans ma façon de consommer... Je ne retomberai pas dans la boulimie d'achat de ma jeunesse. Depuis que je suis à Nantes, j'ai

complètement oublié les grands créateurs. Ici je n'ai pas besoin de mettre du Marithé + François Girbaud. Enfin, ce n'est pas une histoire de besoin, c'est que ça n'a pas de rapport. [...] Aujourd'hui, j'en suis à me dire : j'en ai assez, je fais tourner ce que j'ai et puis c'est bon.

Ça, c'est des très vieux trucs : ils ont au moins 30 ans ! Ce jean, je l'ai rapiécé, rapiécé, rapiécé ! Les pulls, c'est une histoire ! C'étaient des peintures à moi des Beaux-Arts que j'ai fait tricoter par ma mère et ma tante... Je me suis parfois permis de mettre ces pulls-là, qui sont excentriques à souhait - surtout qu’ils ne sont plus du tout à la mode – parce que j’avais envie

de provoquer quelque chose. J'avais ce rapport à la scène : je savais qu'il fallait faire un peu de spectacle pour interpeller ou interroger. S'habiller est une façon de communiquer avec les gens. Ça m’apporte une assurance et un plaisir lié à une forme de séduction, pour qu’on ait envie de me parler, envie de venir discuter avec moi, ou que je puisse arriver à faire passer des choses aux gens. Je sais que si j’ai n’importe quoi sur le dos, on ne va pas me voir. Si je suis mal fringué, je ne suis pas à l'aise. J'ai toujours choisi ce que je mettais en fonction de là où j'allais et pourquoi j'y allais. »

Nina, 35 ans, Nantes

« Quand j’ai quitté mon métier dans la banque, mon travail dans la mode s’est fait assez spontanément. Je vivais au Pakistan et j’ai vu l’envers du décor. Le plus difficile, c’était le travail des enfants. On a beau interdire le travail des enfants, tant que les parents sont mal payés, les enfants continueront de travailler. Et s’ils ne travaillent pas à l’usine parce que l’usine interdit le travail des enfants, très bien, mais ils sont sur le bord de la route et ils vendent des fruits et légumes. Et je parle même pas d’aller à l’école.

Là-bas, je voulais créer ma marque de mode. J’avais fait une chemise. Mais quand j’allais chez le couturier, c’était le gamin devant la boutique qui faisait la couture. Et la couleur, c’est pareil. Au début, quand je marchais dans la rue, je me disais waouh, c’est trop beau, y’a plein de couleurs, c’est génial pour les photos. Mais les teintures sont hyper toxiques. Y’a zéro conscience environnementale. C’est pas à l’ordre du jour politique, il y a trop de problèmes à régler. Le désastre écologique, je l’ai vu avec l’eau du robinet qui coule marron le matin, l’eau de rinçage des patates qui devient violette, l’eau de la machine à laver qui s’écoule directement sous la terrasse. Il n’y a pas de traitement des eaux, et les champs sont à côté. C’est une catastrophe. Et les pesticides, tout ce qui n’est pas autorisé en Europe, c’est revendu là-bas. Le pays est dans les trois premiers producteurs de coton. Les paysans, les ouvriers, ils meurent à 50 ans, et on se pose pas trop la question de pourquoi ils meurent.

D’avoir vu tout ça… je voulais un coton bio. Je voulais faire travailler des femmes dans des conditions éthiques. C’est comme ça que j’ai rencontré une marque, Ethletic, qui faisait des baskets en coton bio au Pakistan. On a commencé à bosser ensemble. C’est comme ça que j’ai mis un pied dans ce milieu, que j’ai commencé à travailler pour participer au développement de ces marques. »

Michel, 89 ans, Saint-Herblain

« J’ai des chemisettes, des chemises… là c’est un chapeau, quand il faisait des grands froids. Mais y’en a plus ! Ça fait au moins 40 ans que je l’ai. J’ai connu des saisons bien structurées. D’autres peuvent le dire, c’était pas comme maintenant, avec des fractions de soleil en été… l’été, c’était l’été ! L’hiver, j’ai connu des -15, -16, -17°C. Mais maintenant…

Moi, je suis né à Roche Maurice, au bord de la Loire. Je travaillais aux chantiers navals, de l’autre côté du pont Anne de Bretagne. On allait au boulot en vélo, et puis c’était encore pavé. Ils ont arraché tout ça pour goudronner… C’était dans le temps. J’ai même connu les bombardements.

[…] Alors là, il y a un peu de tout… un pantalon de marche pour l’hiver. Je continue à marcher. Je vais à Haute Indre, ça fait 2 km. Et puis le tantôt, je m’en vais un petit peu dans les marais. Il y a aussi des blousons, vous voyez… je mets pas tout hein.

– Aujourd’hui, vous n’achetez plus de vêtements ?

– J’achète rien du tout. J’ai rien à acheter. J’ai tout à user. J’userai sûrement pas tout. Tout ça, c’est… c’est toute une vie. Les chemises sont très vieilles aussi. Dans le temps, c’était ma femme qui choisissait. C’était mieux. »

Mélissa, 18 ans, Nantes

“ Je suis la mode, je change de style selon la mode... Sur les réseaux sociaux, Instagram et Snapchat, je suis les stars des Marseillais (l’émission, ndlr) : je regarde comment elles s'habillent et j'essaye de copier. Avant je m'habillais comme tout le monde mais là, je cherche mon style, je n'ai pas encore trouvé... Je me permets de porter des décolletés parce que je n'ai pas de gros seins, j'aime les pièces qui montrent mes formes et ce qui est bling bling.

J'aime bien me balader et que tout le monde voit que j'ai un petit style ! On m'a déjà dit que j'étais trop sexy mais je n'ai jamais eu de remarques désagréables.”

Martin, 35 ans, Nantes

« Ce tee-shirt, je vais juste le mettre en soirée ou en concert. Je l’ai acheté sur Internet, je devais me racheter des leggings pour le sport et puis je suis tombé dessus... Quand tu le mets, il fait vraiment mal aux yeux ! Par contre , il est en polyester, c’est pourrave, regarde l’étiquette : il y a juste un L... Je l’ai lavé qu’une fois. je l’ai mis à l’annif d’un pote, c’est de la merde, la prochaine fois je mettrai un truc en dessous. En tout cas, ça, je vais pas me ramener au boulot avec !

Je me suis acheté une super chemise aussi... Celle là je ne pourrai la sortir qu’à Noël ou presque... polyester aussi, elle est stylée hein ? Tu vois : il y a encore l’étiquette... C’est vraiment improbable ! C’est vraiment les nouvelles pépites de ma collection.

Il y a mes leggings aussi. Avec, je me trouve naturel, décontracté, je me pose pas trop la question. Je pense que je renvoie l’image d’un mec original qui aime rire et qui ne se prend pas trop la tête ! Qui est un peu ridicule mais qui s’en fout, que ça fait marrer quand même. Mais je me rends compte que je vieillis, et dès que je mets des trucs un peu colorés, que ça fait un peu plus ado, je me dis : est-ce que j’ai encore l’âge de porter ça ? Pour certaines fêtes, genre chez un copain jongleur, ça me fait marrer, mais chez un collègue de travail, je pense pas. Si tu mets des belles fringues dans lesquelles tu es beau ou plus classe, plus soigné, les gens viennent plus facilement vers toi et ont peut-être plus de sympathie aussi.

Quand je me mets en costard, j’ai vraiment l’impression de pas pouvoir faire ce que je veux... faut faire attention quand je passe à côté des murs, quand je marche, je peux pas faire de vélo ou des trucs comme ça. Il faut s’installer derrière son ordinateur, faire attention quand tu bois ton thé, quand tu manges tes croissants... En les portant, en fait, je sens que je ne peux pas agir de la même manière, que si je transpire dedans, je vais être mal à l’aise. Ça demande trop d’effort d’être beau tout le temps ! »

Amélie, 33 ans, Bouaye

« Avant d’avoir des enfants, j'adorais faire les magasins. Je me sentais pas bien si j’avais pas un truc nouveau par semaine. J'achetais pas des vêtements chers – je crois que j'ai jamais acheté un vêtement cher – mais il fallait que j'en aie toutes les semaines.

Je pense que je mettais bien... peut-être pas 100 euros par mois mais... pas loin. Aujourd’hui, je mettrais peut-être 8 euros pour un tee-shirt, 10-15 euros pour une blouse ou une chemise, 20 euros pour un pull ou un gilet. La robe que je me suis achetée à Noël, c'était 50 euros : j'ai fait une folie ! Pour un jean... les derniers que je me suis achetés, je mettais 15 euros. Avant d’avoir des enfants, c’était plutôt 50 euros. Après, ils s’usent plus rapidement, c'est vrai. Je tiens quand même à me sentir jolie, mais il y a des achats pour les enfants aussi, la maison à payer... je n'ai pas trop le budget.

Et puis maintenant, faire les magasins, c'est même plus un plaisir. Même quand j'ai du temps sans les enfants, j'y vais pas. J'ai changé de mentalité. J'ai des nouveaux centres d'intérêt, je pense. Je me rends compte que c'est moins important pour moi d’avoir de nouveaux vêtements.

Si je veux vraiment quelque chose de nouveau, je pense que j'irai sur Internet. C’est pas vraiment un plaisir non plus, mais j’irai pour chercher quelque chose de précis. Après, sur Internet, j'essaye pas, c'est ça le problème. Ça m'arrive pas souvent de me tromper sur la taille, mais je sais que je serais capable de garder hyper longtemps un vêtement qui me va pas, juste parce que j'ai la flemme d'aller le renvoyer à la poste. »

Etienne, 47 ans, Nantes

« Il n’y a rien de plus simple qu’un costume. Le mot signifie qu’on se costume, donc qu’on se masque... C’est un truc, à la base, qui t’évite de te poser trop de questions ! Mais quand je regarde les hommes qui en ont, ce n’est pas tout à fait vrai, parce qu’il y a différentes façons de le porter. Pour les chemises, tu as le col anglais, le col français... La façon de faire ton nœud de cravate dénote plein de choses : pour moi, la pointe de la cravate doit arriver juste au- dessus de la ceinture. Peu de gens ont ces codes-là. À chaque fois que j'achète un costume, je fais faire les ourlets et je fais en sorte que la manche de la chemise dépasse de 2 cm de la manche de la veste. C'est comme ça que ça doit être porté pour moi. Ça fait la différence. J'aimais bien les boutons de manchette mais depuis deux ans je trouve ça has been, trop guindé...

Quand on regarde mes chemises, on voit trois couleurs majeures : bleu, bleu ciel, blanc, des choses basiques. Je ne suis pas dans l'excentricité. Je suis quelqu'un qui ne prend

pas de risque. Quand je trouve une marque que j'aime, je la garde.

Et qui dit costume dit chaussures en cuir. J'en avais 6 paires, parce que je déteste mettre la même tous les jours. Tous les lundis c'était celle-là, tous les mardis c'était celle-ci... j'avais un roulement, mais depuis le confinement, je porte moins de costumes et donc plutôt des baskets, c'est beaucoup plus confortable !

[...] Pour optimiser le prix, j'ai découvert Vinted. C’est incroyable car il y a pléthore d'offres ! J'achète uniquement « neuf avec étiquette », j'y tiens, comme ça je suis sûr que ça n'a jamais été porté. On peut trouver des choses de la collection actuelle à 50%. J'ai vendu une

chemise ce matin à un Italien. J'ai dû l'acheter pas loin de 80 euros et je la vends 7 euros. Elle

est quasi neuve. Ce n’est pas histoire de gagner de l'argent, l'idée est de se dire : je ne jette pas, je peux donner une seconde vie, on l'entend souvent dans les pubs, ça me parle, ça a du

sens. C'est un peu vertueux. Ma fréquence d'achats a aussi changé depuis le confinement. Avant, j'attendais les soldes, je trouvais ce que je trouvais. Avec Vinted, je n’attends plus les soldes. J'ai vendu une chemise ? Bah tiens, j'ai envie de m'en acheter une autre. Finalement, Vinted va peut-être faire en sorte que je vais consommer plus de vêtements qu'avant. Peut- être... »

Maylis, 36 ans, Rouans

« Si j'aime vraiment un vêtement et qu'en plus il est fabriqué en Europe, dans des conditions éthiques, etc., je peux dépenser pas mal d'argent. J'essaye d’être raisonnable, mais si j'achète un jean neuf par exemple, je sais très bien que ce n'est pas possible d'en acheter un de qualité et fabriqué dans de bonnes conditions à moins de 100 euros - voire 120, 130 euros. Évidemment, je n'achète pas des fringues comme ça tous les mois, ni même tous les six mois. Mais le prix, en tout cas, ce n’est pas le premier critère.

Par exemple, il y a une marque américaine, Doên, que je trouve hyper belle, mais je n'ai jamais rien acheté chez eux. C'est méga cher, mais c'est pas ça qui fait que je n’achète pas : c'est le fait que j'ai pas du tout envie de faire venir une fringue de Californie jusqu’ici. Pour moi, la distance et l'éthique sont des critères beaucoup plus limitants que l'argent.

Mais bon, je suis pas parfaite… J'aimerais acheter des vêtements juste parce que j'en ai besoin, parce que je les trouve beaux, parce que je me sens bien dedans. Mais je sais que j'achète trop de vêtements. J'ai des phases de « craquage », parce que je n'ai pas vraiment confiance en moi : parfois ça vient compenser un peu ce truc-là. Après, je suis complètement consciente que ça le compense de manière totalement éphémère, ce qui peut entraîner un autre craquage quelques mois plus tard. Ce n'est pas une bonne thérapie. C'est une béquille qui se casse très vite, parce qu'évidemment c'est pas ça la solution pour s'aimer. »

Manu, 52 ans, Rouans

« Les 3/4 de mes vêtements, je n'en ai pas besoin. Je n'en ai pas besoin tout de suite. Ça viendra. Il y a une grosse partie de ce qui est là qui vient d'une période où je devais m'acheter plus de fringues qu'aujourd'hui. Et comme je n'en achète plus... j'en ai pour deux vies là ! Je n'identifie pas de besoin. A part un blouson, il faut que je m'achète un blouson. D'occase, un vieux cuir.

Après, je pourrais améliorer l'aspect éthique de mes vêtements. Mais on ne peut pas être sur tous les fronts. Je suis un peu au courant de ce qui se passe, mais c'est compliqué. Pour le maraîchage, j'ai besoin de vêtements un peu techniques. Il faut plein de poches par exemple, et aujourd'hui, les marques de fringues éthiques ne vont pas vers ces trucs-là. Et puis je gratte sous l'étiquette, parce qu'il y en a plein qui surfent sur la vague, il faut être vigilant...

Et puis acheter des fringues sur Internet, je n'ai pas encore passé le cap. A part des tee-shirts. Même si j'ai ce qu'il faut en stock de tee-shirts, ça peut m'arriver de craquer, mais vraiment pour le message, par soutien à une cause. Mais un pantalon ou des chaussures... Ceux qui achètent des chaussures sur Internet, moi je ne comprends pas... une paire de chaussures, je la mets, ça va ou ça ne va pas.

Après, le prix, vu que je ne consomme pas beaucoup, ça ne me gêne pas. Un jean issu de la filière lin française, ça va être 120 balles, mais si t'en manges un tous les trois ans, pour moi y'a pas de sujet. Par contre, mes pantalons de boulot à 50 balles dans un magasin de sport, c'est pas du tout éthique. C'est un sujet sur lequel ça me paraît économiquement jouable pour moi de faire mieux. Sur d'autres sujets, c'est plus dur. Un PC vraiment éthique, ça existe pas, et j'ose pas imaginer le prix que ça coûterait. »

Jeanne, 9 ans, Nantes

« À Noël, on m’a offert une machine à coudre. J’arrêtais pas d’en demander une, pour faire des habits pour mes poupées. Ensuite, je me suis dit, pourquoi pas faire des vêtements pour moi-même ? Comme modèle, j’ai pris une robe trop petite pour moi, assez simple, et on a fait un contour plus grand sur le tissu pour faire les ourlets et pour que ce soit à ma taille. Au début, on a un peu improvisé parce qu’on savait pas trop comment faire.

– Comment tu choisis tes tissus ?

– Souvent, c’est à la couleur et au dessin. Par exemple, j’aime bien le bleu et j’aime bien ce dessin, c’est original. Ça me correspond bien aussi quand il y a des animaux, parce que moi j’adore les animaux.

– Tu demandes de l’aide pour utiliser ta machine à coudre ?

– Pour les ourlets, ma mère veut pas trop que j’utilise le fer à repasser, donc c’est plutôt elle qui fait ça. Mais sinon, je fais ça toute seule. Pour faire ce doudou, au début j’ai un peu dessiné sur un petit cahier, pour voir comment faire pour l’assembler. Mais souvent, je fais plutôt ça dans ma tête. Je dessine un peu dans ma tête. »

Sandra, 47 ans, Nantes

« Je suis alcoolique. J’ai conduit sans permis et j’ai fait de la prison pour cette raison. Onze mois, la première fois. J’ai perdu mon appartement. En sortant, j’en ai retrouvé un, mais j’ai rechuté : cinq mois et demi de prison.

En prison, on n'a pas de tenue de bagnard, pas comme à la télé. Quand vous rentrez, on vous donne un paquetage : un survêtement, une grande chemise de nuit et cinq tee-shirts. Ils prêtent des vêtements aussi, surtout en hiver, aux femmes qui sont SDF. Si vous pouvez vous en faire parvenir au parloir, c’est mieux. Au moins vous avez vos vêtements à vous.

C’est ma fille qui m’en a amené. Faut pas être pressé ! C’est fouillé, tout est fouillé. Vous les récupérez quatre ou cinq jours après. La deuxième fois que j’ai été incarcérée, il y avait le covid. Et bien, je les ai eus deux semaines après. » C'était pesant parce que j’avais toujours les mêmes fringues. Je me sentais sale. Et puis on n'a le droit qu’à une lessive par semaine alors il y a intérêt à jongler.

- Tu avais une place limitée pour ranger tes vêtements ?

- Non ça allait parce que j'étais toute seule en cellule. Parce que je pouvais me le permettre.

- C’est comme ça que ça marche ?

- Ah mais vous payez en prison, faut pas croire que vous payez pas ! Vous voulez la télé, vous payez la télé, vous voulez le frigo, vous payez le frigo. Et si vous voulez manger mieux que ce qu’ils donnent, et bien il faut cantiner. C’est pas gratuit ! »

Gabrielle, 31 ans, Rouans

« Je suis vachement dans un circuit de mode éthique, de par mon travail, un réseau made in France, etc. On se connaît un peu tous, c'est un petit milieu. Et je m'habille très peu, voire pas en fait, chez ces marques-là. C'est dingue.

D’un côté, c'est compliqué à trouver, même pour moi franchement. C'est des marques qui sont assez confidentielles, comme peut l'être la mienne. Elles aimeraient certainement être plus visibles mais elles se noient dans la masse.

Et en termes de style, il y a beaucoup de classiques ou de basiques : des pulls, très bien faits, mais ça reste des coloris marine, gris, etc. Il y a quelques marques qui ont des partis-pris stylistiques plus forts, mais pas beaucoup, et c’est pas forcément mon style. Donc j’ai un peu de mal. Mais j’aimerais bien, franchement. 

Pour moi, le vêtement, c'est une affaire de langage, d'expression, de codes : à qui tu t'adresses, et qu'est-ce que tu veux dire. Je ne m’habille pas à Rouans comme je m’habillais à Paris. J’ai pas envie d'aller chercher mes enfants à l'école et d'interpeller, que tous les regards se tournent vers moi. Même si au fond, je crois que j'aimerais bien me faire plaisir et porter des trucs plus extravagants parfois.

J’ai plein de références issues des cultures punk et redskin. Par le biais de la musique, j'ai fréquenté ces milieux-là, sans en faire partie. Et tout ça c'est des codes, comme les Dr Martens... Ça veut dire quelque chose quand tu fais ce genre de choix. Les vêtements, le style, c'est une façon discrète, je pense, de manifester des principes auxquels je tiens : de révolte, d’engagement sans compromis... Rester dans le système, sortir du système… J‘ai un caractère trop consensuel pour être radicale mais au fond, j’adhère à ces cultures, elles me fascinent, c’est une part de moi.»

 
 

Les auteures

Marion Guilleux @ladamequipique, Gabrielle Le Gall @processus.clothing et 📸 @maylis.rolland

Nous tenons à remercier chaleureusement les personnes qui ont accepté de partager cette partie de leur intimité avec nous pour ce travail. Conscientes des difficultés à se livrer à des regards inconnus et de l’ampleur du travail à faire sur nos propres relations à nos vêtements, nous nous sommes également prêtées au jeu de ces portraits d’armoire.